Michel Kelemenis © Gregory Batardon
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Michel Kelemenis

Michel Kelemenis commence la danse à Marseille à l’âge de 17 ans. Dès 1983, il est interprète au sein du Centre Chorégraphique National de Montpellier auprès de Dominique Bagouet et écrit ses premières chorégraphies, dont Aventure coloniale avec Angelin Preljocaj en 1984. Lauréat de la Villa Médicis Hors-les-Murs en 1987, il fonde la même année Kelemenis&cie.

En 1991, il est lauréat de la Bourse Léonard de Vinci, et du Fonds japonais Uchida Shogakukin, puis l’année suivante de Beaumarchais-SACD pour la création de Cités citées. Son parcours est distingué : il est nommé Chevalier dans l’Ordre National du Mérite en 2007 et promu Officier des Arts et des Lettres en 2013. Ses nombreuses pièces (25 comme chorégraphe invité ou pédagogue et plus du double pour sa compagnie) sont présentées à travers le monde. Amoureux du mouvement et des danseurs, de ces instants exceptionnels où le geste bascule dans le rôle, Michel Kelemenis articule ses créations autour de la recherche d’un équilibre entre abstraction et figuration. Pour son style personnel, qui allie finesse et performance, le chorégraphe est sollicité par les Ballets : de l’Opéra national de Paris, de Genève, du Rhin, du Nord, du Capitole de Toulouse, ou encore le Ballet National de Marseille. À l’Opéra de Marseille, il met en scène en 2000 le drame lyrique et chorégraphique L’Atlantide de Henri Tomasi.
Il accorde à la musique une place essentielle, en sollicitant les œuvres originales des compositeurs Christian Zanési, Philippe Fénelon, Philippe Hersant, Yves Chauris, Gilles Grand ou plus récemment le musicien electro Angelos Liaros Copola.
En 2007, Michel Kelemenis s’essaie à la narration avec, notamment, des créations en direction du public jeune, la commande de Cendrillon par le Ballet du Grand Théâtre de Genève, ou La Barbe bleue pour sa compagnie en 2015. Il flirte parfois avec l’exagération expressionniste (L’Ingénue sorcière en 2020).
Des missions confiées par Institut Français à Cracovie, Kyoto, Los Angeles, en Inde, en Corée et en Chine, naissent des projets de formation, de création et d’échange avec des artistes d’expressions différentes et des compagnies étrangères. Une coopération de longue haleine avec l’Afrique du Sud au fil de deux décennies à partir de 1994, le porte à créer en 2008, et pour 3 éditions, la formation pluridisciplinaire CROSSINGS.
De nombreuses actions croisant création et pédagogie sont menées au sein de formations supérieures et professionnelles, à l’attention desquelles le chorégraphe produit le Carrefour artistique BOUGE, suivant un rythme biennal depuis 2016.

En octobre 2011, à l’initiative eu suivant le concept de Michel Kelemenis, KLAP Maison pour la danse à Marseille, nouvel équipement de 2000 mètres carrés dédié à la création chorégraphique et sa visibilité est inauguré. KLAP amplifie les actions fondamentales de Kelemenis&cie autour du coeur battant de la création : soutien aux auteurs et aux compagnies, partage artistique éducatif et citoyen, insertion professionnelle, coopération et culture chorégraphique. Depuis, environ 70 compagnies y déploient leurs projets chaque année.
En 2017 Kelemenis&cie fête ses 30 ans de création.
En 2019, Michel Kelemenis créé le septuor COUP DE GRÂCE en écho aux attentats de Paris. En 2020, il initie 8M3 en réaction à la crise sanitaire, et passe commande de 10 créations en solo à la communauté chorégraphique régionale ; il crée dans ce cadre L’INGÉNUE SORCIÈRE. En 2021, LÉGENDE est le quatrième opus de la compagnie dans la pensée de l’enfance, de la jeunesse et de la famille. Le spectacle est encore actuellement en tournée.
Avec MAGNIFIQUES, pièce pour neuf interprètes créée le 13 janvier 2023 au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence), Michel Kelemenis rend hommage aux danseurs et aux danseuses pour inventer, dans le plaisir vécu et projeté d’une forme chorale, un hymne à la jeunesse. Dans la foulée, il créé LOIN TAIN, pièce pour 19 interprètes du Ballet de l'Opéra national du Capitole à Toulouse. Jouant d’un noir profond, LOIN TAIN joue de reflets, de profondeurs, de matières, de transparences et de lumières, en un écho-hommage à l’oeuvre peint de Pierre Soulages.

Actuellement, Michel Kelemenis crée VERSUS pour janvier 2024, un duo d'aimants à quatre corps, où le désir s’expose en dépit des sexes, par la mise en présence irrécusable et l’affirmation de deux êtres.

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Agnès Izrine

Une danse fluide, volubile et expressive
Originaire du Sud de la France, il ne le quitte guère car il sera interprète de Dominique Bagouet à Montpellier où il signe ses premières chorégraphies dès 1984.
Pourtant ses incursions hors du Midi sont plutôt éloignées : Japon, Chine, Etats-Unis, Afrique du Sud. À chaque voyage, il rapporte une sorte de carnet chorégraphique, né de ses rencontres avec les danseurs, qui engendre des créations teintées d’une culture composite dont il restitue l’essence. Sortes de Prétexte à danser comme l’indique le titre de l’une de ses créations, d’autres récits naîtront de ces escapades lointaines comme Traduction simultanée, ou 3 poèmes inédits. Ces notes ou croquis de voyage procèdent par petites touches, bribes, esquisses : il ne s’agit pas d’épuiser le sujet. C’est pourquoi l’on a le sentiment que ses chorégraphies sont toujours une sorte d’après-coup de la lecture. Comme si les parcelles d’enfance, les souvenirs qui affleurent, les couleurs qui surgissent, donnaient au final tout bon sens à l’ensemble.

Sa danse est fine et légère. Assez debussyste, ses chorégraphies naviguent entre abstraction et intention, leurs combinaisons évoquant de claires lignes mélodiques. Son écriture ciselée et musicale est très appréciée. Sa gestuelle à la fois sensible et vigoureuse est spiralée, étirée, et pousse à son paroxysme un savant déséquilibre des corps. Son univers est celui d’un matin calme traversé d’accélérations soudaines, d’étreintes esquissées, de détentes hâtives. En ce sens, ses œuvres sont d’essence picturale : elles sont la matière et les déchirements d’une toile véhémente, même si le fond sait rester fort discret.

Les titres de ses pièces signalent un humour un peu nonchalant. Jamais appuyé, de l’ordre du sourire plein d’une tendresse amusée pour ses congénères : Clins de lune, Paradoxe de la femme-poisson, L’homme, la femme et George. À chaque fois, le mouvement sert de révélateur. Solos, duos, trios, se succèdent comme cherchant à redéfinir plus précisément un seul et même propos. La douceur de gestes qui partent en nuages fait ressortir des mouvements tranchés et robustes, qui, du coup, semblent jaillir irrépressiblement. De la vivacité à l’effleurement le plus ténu, ce sont les rapports du corps à l’âme compris dans des cultures fort différentes qui se déclinent sous nos yeux. Mesurée, complexe, la chorégraphie vient inscrire ses volutes en filigrane, la symétrie est déjouée, quelques éléments d’une danse apparaissent pour s’évanouir aussitôt. Fragmentaires et poétiques, toutes ses pièces comportent toujours un principe d’antagonisme qui déjoue la rigueur de la composition et laisse entrevoir une imperceptible émotion qui colore ses pièces comme une rougeur légère. Ses mises en scène sont toujours très réfléchies et s’appuient sur des éléments simples qui, pourtant, font vibrer ses chorégraphies d’une extrême pudeur.

Frédéric Kahn

Que ce soit dans la gravité, la musicalité ou la légèreté nostalgique, Michel Kelemenis n’est jamais aussi juste que quand il se consacre entièrement à exacerber la sensualité des corps. Sa danse devient alors d’une limpidité presque totale. Non pas parce qu’elle est fondamentalement originale, mais parce qu’au contraire elle nous révèle des évidences, parce que toute l’intention portée par le geste, tout en restant mystérieuse, ne fait plus de doute dans les esprits.
Michel Kelemenis est d’ailleurs persuadé que la singularité des êtres ne peut s’exprimer pleinement que si le concept, l’enveloppe, le support chorégraphique, est lui-même profondément singulier. Il instille ainsi de la circularité, du mouvement, à l’intérieur même de la contrainte technique et des références. Il travaille avec et non contre la personnalité de ses danseurs, tout en créant une unité de forme.

Marie-Christine Vernay

Kelemenis, chorégraphe free-danse
À l’époque où les noms des compagnies avaient autant, sinon plus, d’importance que ceux des chorégraphes, Plaisir d’Offrir rimait avec générosité. Avant la représentation, on nous distribuait des bonbons. Ce geste donnait le ton doucement acidulé de la troupe de jeunes danseurs. Parmi eux, Michel Kelemenis faisait ses premiers pas chorégraphiques après quelques essais au Centre Chorégraphique National de Montpellier alors dirigé par Dominique Bagouet. Déjà, dès les premières pièces, derrière l’apparente désinvolture et la légèreté, se cachait un univers plus sombre, plus acéré. Il y a toujours eu, chez Kelemenis, cette double perception du monde, cette double approche de la danse. Au moins double, tant l’écriture s’est complexifiée au fil des années concentrées sur la création, tant l’individu est, lui aussi, façonné par de nombreuses expériences d’interprète ou de chorégraphe.

Les bases, les fondations sur lesquelles le chorégraphe prend appui, sont solides, même si peu enracinées dans les certitudes, dans les dogmes. Tous ceux, les “pères” -disons pour aller vite- qui ont contribué à la formation de Kelemenis, s’inscrivent dans l’histoire de la danse qu’ils marquent fortement. Mais ils ne sont pas des faiseurs de chorégraphies, ou de produits fabriqués pour nourrir le marché. Ils ont tous un lien plus ou moins direct avec la performance, l’expérimental, l’expérimentation. Ils ont conçu la danse comme un art à part entière qui n’a pas à recours à une autre discipline pour s’imposer. Ils ont garanti son indépendance, afin qu’elle puisse parfois trouver de nouvelles connexions avec la musique ou les arts plastiques.

Le chorégraphe Kelemenis est né dans ce berceau, celui de l’écriture.

Enfant des années 80, il s’est nourri des travaux de Merce Cunningham qu’il a étudié de près à New York, de ceux de Trisha Brown. Quant à Dominique Bagouet, dans la compagnie duquel il fut danseur de 1983 à 1987, inutile de dire qu’il a compté pour lui autant humainement qu’artistiquement. Sa liberté d’écriture, la clarté de ses lignes, sa qualité de mouvement qui ne se résume pas à des qualificatifs grossiers (lourd, léger), mais qui cherche à se nommer par le mot de “ fané ” par exemple, la façon de tramer -presque de manière stratégique- de nouvelles relations entre les êtres, au-delà des considérations sexuelles, morphologiques : tout cela, et bien d’autres choses encore se retrouvent dans le travail personnel de Kelemenis.

Lequel n’est pas que l’enfant des “ pères chorégraphiques ”. Il est aussi l’enfant de son père, Ulysse. À Marseille -où il vit depuis presque toujours- il découvre la danse presque par hasard, puisqu’il était promis à un avenir de gymnaste de compétition. Son corps garde d’ailleurs quelques souvenirs de la gymnastique, sa façon aussi d’attaquer le sol, de s’emparer franchement de la scène comme des agrès. Il aime dire “qu’il fait dans le détail, mais pas dans la dentelle”. C’est assez juste, il est plutôt direct.

C’est évident dans ses solos qui jalonnent son parcours, comme si l’activité “solitaire” lui permettait, à chaque fois, de reprendre la mesure de sa propre dimension : petit bonhomme déterminé, amoureux sans objet définitif, curieux de toutes les avancées de la danse et critique, fragile lorsqu’il est blessé ou fatigué. Dans Faune Fomitch, dédié à Nijinski, il libère le danseur et chorégraphe des Ballets Russes de son carcan historique, de l’imagerie. Il lui offre une scène d’aujourd’hui, se présentant de profil, mais regardant de face, facétieuse, amusé, rendant à Nijinski sa causticité. Dans Clin de lune, le solo dédié à Dominique Bagouet, il ne commémore pas, il file la métaphore de la disparition prise comme un éclat, un événement sidéral, un désastre. Il danse avec la part de Bagouet qui est en lui, mais aussi avec le vide, le manque.

Mais Michel Kelemenis n’est pas qu’un soliste en quête de reconnaissance personnelle, il a pris une autre voie. S’il est ambitieux, ce n’est pas pour faire carrière, mais plutôt pour que sa danse trouve une scène qui convienne au propos artistique. Ce n’est pas donné d’avance. Il installe sa compagnie à Marseille, en 1989. Ce n’est qu’en 1995 que la cité portuaire qui a pourtant nourri nombre de ses spectacles - notamment Le paradoxe de la femme-poisson créé à la Biennale de la Danse de Lyon en 1998- semble enfin vouloir accueillir celui qu’elle a vu grandir. La compagnie a bénéficié d’une convention triennale de partenariat avec la scène nationale du Merlan. Il y a à peine un an, elle a ouvert son propre studio. Un bonheur pour qui a déménagé d’un lieu à un autre, qui a interrompu les répétitions pour rendre la clef à l’heure prévue par la location ou l’hébergement (le lot de nombre de chorégraphes). Depuis, le lieu a beaucoup servi, autant pour la compagnie que pour d’autres créateurs. Le chorégraphe qui aime sa ville mosaïque ne craint pas non plus d’aller voir au-delà des restrictives frontières de la région. Il est aussi chorégraphe free-danse, et pas uniquement pour des compagnies de danse contemporaine. Son écriture ne laisse pas insensible le monde classique. On le dit “ formel ”, et c’est vrai dans le sens où il a le souci de la forme. Toutes ses pièces sont calées sur papier millimétré, trouvant un rapport au temps qui évite le comptage (ralenti, accéléré, crescendo). La chorégraphie ne s’appuie sur aucune convention : variation, pas de deux, unisson. Elle utilise un certain vocabulaire classique, à certains moments. Les traits classiques ne mènent pas la danse, ne la dessinent pas dans la globalité. Ils sont là, comme bien d’autres matières, traités isolément ou dans l’accumulation, le recyclage. Dans la mémoire chorégraphique de la compagnie, les éléments classiques -pourtant présents depuis longtemps- coexistent avec une nonchalance, des gestes qui sont à la traîne comme des regrets, avec des irruptions de quotidien. Le vocabulaire est large, et le chorégraphe assez souple pour ne pas se fier à ce qui pourrait faire son propre style (Kelemenis -le chorégraphe de l’éclat- un brin virtuose et formel). Si la danse est bien celle d’un auteur d’aujourd’hui, signée, elle sait aussi se mettre au service de compagnies autres que la sienne. Au point même qu’on ne sait lequel des Kelemenis on préfère : celui de Marseille, ou celui qui a chorégraphié pour le Ballet de Genève, le Ballet du Rhin.
Les maisons d’opéra ne sont pas pour lui des Bastille à prendre, ni des maisons closes et inconnues. Les danseurs et musiciens, qui ont travaillé avec lui, rendent hommage à sa façon de tenir à sa danse, tout en la transmettant, et tout en respectant les contraintes, quitte parfois à s’en amuser, parfois irrespectueux. On l’a très bien vu dans le solo qu’il a écrit pour Kader Belarbi, Sélim. Convoquant les origines arabes de l’étoile, jamais sur le mode revendicatif, il ne plaque pas sa danse sur un corps autre que le sien. Il écrit “pour” l’interprète.