“D’immenses danseurs deviennent un jour chorégraphes : c’est un des franchissements de ligne des plus fascinants, au point, avec Le sixième pas, d’aller regarder au plus près de quoi il retourne. Aborder la question en dansant moi-même avec Katharina Christl, pour expérimenter de l’intérieur, équilibre nos points de vue, avant de transmettre ce rôle inédit de dialogue et qu’il poursuive sa vie au sein du Ballet National de Marseille”.
Michel Kelemenis
Le sixième pas, ou comment désigner par un acte poétique la maturité en même temps que la vitale nécessité d’inventer...
Le duo est comparable à un lancer de dé, au sens de la mise en jeu de tous les possibles. La nature de hasard du résultat n’intéresse que peu, pas autant en tout cas que la mise en mouvement et en incertitude. Katharina Christl, improvisatrice emblématique de Frédéric Flamand au sein du Ballet National de Marseille, et Michel Kelemenis, écrivain bâtisseur, se créent un champ d’aparté pour, elle, céder à la tentation de chausser des pointes pour la première fois, et lui, retrouver un enjeu mis de côté un long moment, celui de se perdre dans la danse. L’écho de TATTOO que le marseillais crée en 2007 pour 5 danseurs du BNM dont 2 femmes portant déjà les chaussons classiques, se double d’une retrouvaille avec l’électroacousticien Christian Zanési. La musique, originale, est écrite après que Kelemenis a raconté au compositeur l’hypothèse –jamais réalisée- d’une déambulation muséale, “une nuit d’été où les oiseaux de jour auraient continué de chanter” : un dérèglement contre-nature. Dans cette obscurité réinventée, la danseuse et l’horloger incarnent la question que chacun pose à l’autre : la liberté en frottement avec la structure dans une réflexion vagabonde sur la maîtrise. Ils effectuent, ensemble, un pas en dehors de leur propre route, l’un avec l’autre. Par besoin comme par envie.
26 juin.2012
Soirée de duos à KLAP, Marseille, les 23 et 24 Juin 2012
Michel Kelemenis a présenté, fin juin, au KLAP, une soirée de duos très réussie pour mettre en valeur cet espace de création et de dialogue que devient, comme prévu, sa Maison pour la Danse. En préambule, dans le hall, devant un décor de salon design 1960, un Impromptu sur le concerto pour piano et orchestre de Ravel, deuxième mouvement, dansé par Katharina Christl, du BNM, et Michel Kelemenis, nous confronte à un couple en crise dont l’homme gesticule en pure perte devant une épouse passablement névrosée qui ne réagit qu’avec indifférence à ses manoeuvres de séduction. Qu’ils évoluent assis ou couchés sur le canapé, ou sautillent en tournant sur eux-mêmes, c’est toujours dans le dessein de nous dévoiler la difficulté de leur relation amoureuse, leur maladresse à communiquer dans la transparence comme dans un film d’Antonioni ou de Fassbinder. La pièce suscite dans son ensemble un grand moment d’émotion. Nous passons ensuite dans la salle de spectacle pour retrouver le même couple dans Le sixième pas, un pas d’ordre intellectuel que les deux danseurs ont "souhaité effectuer en dehors de leur propre route, par besoin comme par envie", nous explique Michel, avec l’idée de se raconter chorégraphiquement à partir de leur passé. Pour l’un, il s’agissait de reproduire une permanence de mouvements étudiés jadis chez Bagouet, pour l’autre, Katharina, la danseuse de Frédéric Flamand, d’aller sur ce terrain hostile qu’est le sol avec des pointes, en cherchant à s’en extraire de façon à exprimer l’antagonisme vécu avec l’élévation, en tournant par exemple comme une aveugle handicapée autour de son partenaire, parfois recourbée, lovée sur son coude, à la recherche d’une certaine densité d’espace, dans une atmosphère inquiétante de grondements de tonnerre. Dans cette création qui fait écho à Tatoo (une pièce de 2007), Michel Kelemenis choisit de développer "l’hypothèse d’un dérèglement contre-nature, dans une nuit d’été où les oiseaux continueraient de chanter", mais aussi de célébrer cet enjeu de se perdre admirablement dans la Danse, en improvisant des mouvements étrangers à sa grammaire. En opposition à ces pièces de réflexion, le moment de détente de la soirée revenait au ravissant duo burlesque de Baptiste Coissieu (formé au Conservatoire de Danse de Lyon) : Bonsoir Madame La Baronne. Il s’agit là d’un remarquable travail de recherche sur l’exagération gestuelle dans sa relation à la virtuosité vocale et à la musicalité de morceaux de bravoure pour soprano colorature, extraits de l’Armida de Rossini et de l’Ariodante de Haendel. Face à son zélé serviteur, cadre dynamique chaussé de hauts talons aiguille rouge vif (Jean-Charles Jousni, formé à l’END de Cannes), Baptiste Coissieu campe en travesti(corset noir, longue jupe rouge à volants) une diva aristocrate, extravagante, capricieuse, furieuse, qui téléphone, fume, lorgne la salle à l’aide de jumelles, flirte avec un spectateur-danseur (Frédéric Carré) que lui a procuré son valet, et surtout chante en play-back au centre du plateau avec de grands gestes d’évaporée et des oeillades assassines. Allant jusqu’à mimer son suicide sur le mode du hara-kiri, notre baronne va perdre tous ses accessoires, le temps d’un rêve dans un fondu au noir, pour réaliser avec son serviteur complice un pas de deux très élaboré d’aspiration à l’égalité. Choisissant de se situer délibérément dans l’esprit de Béjart et de Forsythe, Baptiste Coissieu et Jean-Claude Jousni devraient pouvoir, vu le succès obtenu au KLAP, se lancer désormais dans des créations plus ambitieuses inspirées de leur univers délirant.